
Habile guitare en main, le monument du latine rock a donné ce qu’il pouvait vendredi soir devant le Léman. Pour faire plaisir aux fans… mais aussi à son « frère » Claude Nobs.
Durant une heure et quarante cinq minutes, chrono en main, le natif du Jalisco, au Mexique, a passé en revue ses plus grands succès. Portant un fedora blanc des plus élégants, il aura prouvé que l’âge n’efface pas la légende. Certes, les déplacements sur scène se font plus lentement et il semble moins investi qu’auparavant. Son jeu est aussi moins incisif, surtout sur les hautes notes.
Mais se ménager n’est pas un mal, surtout après le malaise subi lors des répétitions du printemps dernier. Santana peut compter sur l’excellence de ses musiciens pour parfois s’éclipser de scène et laisser la lumière sur celle et ceux qui agissent comme un élixir de jouvence. Il se révèle en un kaléidoscope de couleurs musicales, inspirées du monde qui l’entoure. Et blotti contre lui, ses solos légendaires.

Un démarrage en douceur, avant la fusion
Santana arrive donc sur la Scène du Lac, ouverte sur l’étendue d’eau où s’amassent voiliers et bateaux à moteur. Le coucher de soleil est également au rendez-vous. Idyllique pour la venue d’un habitué du MJF, dont la dernière apparition remonte à 2016.
L’esprit chamanesque, qui accompagne la carrière du headliner du mythique Woodstock 1969, se visualise par une introduction étrange sur les écrans géants : des aurores boréales dignes d’un fond d’écran de meeting Zoom, agrémentées d’une vidéo de populations amazoniennes bercées par des sons tribales. La percussion est omniprésente, et le restera tout au long du concert. Prémonitoire, car c’est aussi l’ADN de l’artiste: assurer l’énergie du morceau par le prisme des timbales, maracas, congas et la batterie.

Sa femme Cindy Blackman Santana assure d’ailleurs derrière les futs, elle fait vibrer ses cymbales comme si chaque frappe était la dernière. Avec ses acolytes percussionniste Karl Perazzo et Paoli Mejías, ils donnent d’emblée le rythme sur le combo Soul Sacrifice (en hommage à Woodstock) et Jingo sur l’ouverture du set. Les hits attendront, tout comme le public, encore un peu amorphe. Il faudra que les premières notes de Oyé Como Va se lancent pour que, une bonne vingtaine de minutes après le début du concert, la foule prenne enfin le pouls d’un instant marquant de cette 59e édition du Montreux Jazz Festival.
Le Latin Rock Fusion, cher à Santana, est là. Et le public « fusionne » enfin avec lui.

Un flegme qui cache une technique hors-pair
Loin d’être aussi énergique qu’au débuts de carrière dans les années 1970 – ou même il y a une dizaine d’années quand il enflammait le Stravinski -, Santana a, au fil des ans, dégagé un flegme qui peut déranger certains… mais qui n’entache pas ses prestations guitare en main. Tout semble couler de source chez le septuagénaire, dont la dextérité s’exprime dans les innombrables solos.
Restant debout pour quelques séquences de percussion ou s’installant parfois sur une chaise haute, il suit le mood sans s’obliger à une quelconque mise en scène. Mâchant son chewing-gum sans interruption pendant près de deux heures, c’est comme s’il entrait dans sa bulle pour délivrer ses notes subtiles qui ponctuent les interventions vocales de Ray Greene et Andy Vargas (excellent d’ailleurs).

Durant le set, les regards sont parfois tournés vers les deux écrans latéraux de la scène. Ils diffusent des images d’archives, retraçant les premières années sur scène de Santana et quelques images de ses couvertures d’albums devenues mythiques avec le temps. Le public assiste peut-être à la dernière prestation montreusienne de son artiste fétiche…, qui dira « C’est ma maison. Je dédie tout ceci à Claude Nobs, mon frère ». Touchant.
L’unité et la paix, que prônera l’artiste dans un discours lors du rappel, accompagnera le spectacle de façon si naturelle. Avec Hey Now, le public allume ses lumières pour éclairer la Place du Marché. Sur Game Of Love, il dansera sur l’incontournable hymne interprété par Michelle Branch. Et sur Corazon Espinado, il chantera à plein poumons le refrain de Mana. Smooth fera vibrer une dernière fois Montreux. Puis, tout en discrétion, Santana quitte la scène, laissant la lumière à ses musiciens et musicienne, gardiens du mythe.
