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Ino Casablanca est venu samedi 13 décembre dernier rencontrer ses fans genevois à La Gravière lors de l’unique date suisse de son Extasia tour. L’opportunité idéale pour faire l’expérience de ce pour quoi sa musique a été pensée.


Par sa façon de composer, notamment via des méthodes de productions propres aux musiques électroniques, son recours au sampling ou sa propension à faire du neuf avec du vieux ( reflet de ce dernier procédé ), Ino s’inscrit, comme de beaucoup d’artistes de sa génération, dans une démarche Hip hop.

Cette démarche, les pionners français de cette culture l’ont adoptée en même temps que les influences musicales de leurs ainés afro-américains en samplant comme eux les disques de soul, jazz ou encore blues qui avaient bercé la génération des parents de leurs modèles. Près de 40 ans plus tard, cette tendance n’a pas foncièrement évolué.

Pour les enfants de la diaspora

Mais dernièrement, une nouvelle génération d’artistes ( comme la chanteuse Theodora ) sublime les conséquences du passé colonial de l’Europe et les mouvements migratoires récents qui en ont découlé afin de créer ce que l’on pourrait appeler la musique des enfants de la diaspora*. Une musique qui se sert de méthodes de productions occidentales et de références culturelles aussi larges qu’est le groupe démographique dont font partie ces artistes.

Et même si très peu en sont capable aussi bien qu’Ino Casablanca, ce qui rend sa musique si singulière c’est plutôt sa capacité à mobiliser les outils et l’esprit du hip hop sans s’y enfermer. Ici, il n’est pas une finalité mais un moyen. La véritable boussole de son art c’est une quête personnelle qui le guide à créer la musique capable de déclencher la catharsis au travers de la communion.

Communion

La danse est-elle le moyen idéal pour rassembler autour de soi ? C’est en tout cas ce que la majorité de son répertoire est parvenu à susciter samedi à la Gravière. Le public y a été sensible lorsqu’OSOMEXICO Nicolas Domingues et Ino ( tous 3 crédités à la production d’Extasia), ont joué NOUVO GROOVE ou DIMA RAVE, des morceaux puisant dans l’héritage des musiques du monde arabe qu’a légué le père d’Ino à son fils. Héritage que l’artiste est parvenu à réinvestir en soulignant sa portée festive et fédératrice.

Mais le trio a aussi convoqué d’autres sonorités pour des morceaux comme KITLE ou BLICKY qui s’inspirent de musiques carribéennes. Résultat sans appel : la Gravière a dansé et vibré sous le rythme des titres qui ont semblé avoir été calibrés pour le club.

Cependant la musique d’Ino n’est pas uniquement joyeuse puisqu’à l’image de Stromae, le rappeur mêle souvent musicalités dansantes et thématiques tristes. En revanche, là où un goût amer nous reste en bouche à la suite d’un morceau du Belge, c’est un sentiment d’apaisement et de quiétude qui s’installe après l’écoute des morceaux d’Ino.

Car ce que recherche avant tout le rappeur, c’est de pouvoir sublimer avec son public leurs blessures respectives en célébrant le fait d’avoir traversé (et parfois surmonté) les épreuves que la vie a placé sur nos trajectoires. Les paroles des chansons nous indique d’ailleurs que son processus de Catharsis n’en est pas au même stade pour chacun de ses différents traumas.

Catharsis

Ainsi, son chemin passe d’abord par le fait de chanter les épisodes douloureux de sa vie pour mieux les affronter :

Mama j’arrête les études même si ton coeur est en pierre, je pars faire des écus pour me sentir moins mal qu’hier.

Il exprime ensuite la satisfaction de pouvoir se venge [r] sur la vie día après día :

Bientôt j’vis ce qu’ils pourront pas vivre

avant de privilégier l’égotrip** pour témoigner de la satisfaction ressentie après avoir surmonté ces évènements traumatiques. Sa désinvolture parfois teintée d’audace permet d’accentuer encore cette posture comme le montre son échange avec Linlin sur le morceau BLICKY :

L – Askip toi tu m’as choisi ?
I – J’ai le choix donc j’ai choisi

Mais ce travail reste à effectuer pour ses fellures les plus profondes :

À chaque fois que j’reçois un « je t’aime »
ça m’rappelle à quel point on m’aimait pas

Si sa musique ne parviendra peut-être pas seule à soigner ces maux-ci, elle nous aide néanmoins à comprendre qu’à l’image des derniers mots de la mixtape, Ino a encore bien des choses à nous raconter, choses qu’il semble prêt à partager avec son public aussi bien dans l’intimité d’un casque que sur scène.

C’est pas avec ma mère que j’vais combler ce vide, c’est avec des mots que mon coeur se répare.

* ⁠formule empruntée à la chanteuse/ rappeuse Théodora qui l’a utilisé lors de la réception de son trophée aux flammes 2024 pour désigner les gens à qui elle dédiait sa musique.

**figure de style courante dans le rap visant à s’autoglorifier dans le but d’améliorer son propre égo parfois en exagérant certains de ses mérites.