Quelle merveilleuse idée du Montreux Jazz Festival d’avoir réuni ces monuments. Pour ce premier mardi de festivités, l’Anglaise et les Américains ont séduit un public aguerri.
On ne savait pas trop qui était la tête d’affiche de cette soirée, tant la bataille du baromètre du succès commercial et critique est (presque) équivalent. D’un côté, il y a PJ Harvey avec une solide reconnaissance mondiale (nommée huit fois aux Brit Awards et sept fois aux Grammy Awards). De l’autre, The National avec sa notoriété exponentielle grâce à des coups de pouces bienvenus, comme terminer dans la playlist de Barack Obama ou faire des collaborations avec des vedettes (coucou Taylor Swift).
C’est sûre que mardi soir, on était loin de la venue d’un Patrick Sébastien au D-Club de Lausanne.
Merveilleuse PJ Harvey
Sur fond de bruits d’oiseaux et sonorités mystiques, Montreux devient unique avec son lac en fond d’écran. C’est l’ambiance que donne PJ Harvey avant de monter sur scène. La native de Bridport a un don, un éclectisme qui rappelle parfois Björk dans sa façon de concevoir l’art musical. Devant une foule clairsemée, elle apparaît comme si elle découvrait le monde sur l’introduction Prayer at the Gate.
Le regard est éclatant de fraîcheur, les yeux sont illuminés d’une grâce… à l’image de nombreuses références à Jesus dans ses paroles. Alors commence un set de quarante minutes tout en finesse, en mystères avec plusieurs titre du récent I Inside the Old Year Dying, incluant l’excellente The Nether-Edge ou la subtile A Child’s Question, August. Un opus quelle promeut donc cet été à travers l’Europe, avec une unique date suisse à Montreux.
Si parfois un sourire léger s’égare vers le public montreusien, c’est surtout un moment avec elle-même que l’Anglaise vit. On pourrait se dire qu’elle est imbue d’elle-même, mais c’est mal la connaître. Elle profitera de la fin du concert pour sincèrement remercier le public. Avant cela, il fallait vivre ce moment de partage spirituel: entourée de ses quatre musiciens, elle vit ses chansons en laissant ses mains sur son visage ou en se tortillant sur elle telle une mante religieuse. Il y a quelque chose de fascinant à l’observer et le public ne s’y trompe pas d’avoir choisir de commencer sa soirée avec elle.
Alors que le soleil ratisse gentiment le lac, celle qui est membre de l’Ordre britannique sort de sa mue après une dizaine de chansons. Terminé le moment feutré, où le son caresse les oreilles. Désormais, et pour la dernière demi-heure, elle retirera son habit noir et blanc pour laisser transparaître une robe élégante. Par contre, quel contraste avec sa musique, bien plus rock. Fender en main, elle commence à donner de la voix comme si c’était son dernier jour sur scène. Une autre PJ Harvey se découvre à la foule, à son grand plaisir qui reprend certains morceaux iconiques. Quel grand écart offert. C’est digne des plus grandes.
Ainsi, Down by the Water sonnera comme un hymne en fin de concert, parfaitement dans le contexte d’un lac à portée de main. On n’oubliera pas ce moment là.
The National, enfin une Amérique inspirante
Durant trente minutes après les dernières notes de PJ Harvey, les technicien·ne·s se sont donnés corps et âmes sur la Scène du Lac pour installer tout le matériel de The National : des synthétiseurs, des cuivres, un piano, des guitares, une batterie. Puis survient un morceau festif des hauts-parleurs, typique celui que l’on retrouverait sur une playlist « ambiance de nouvel an ». On voit sur grand écran les visages pixelisés des sept membres du groupe américain passer devant la caméra, rigoler ensemble avant de monter sur scène. Puis l’explosion de bruit.
Devant la place du Marché, le chanteur Matt Berninger et ses comparses arrivent devant une foule enthousiaste sur Runaway. Il faut dire que la dernière venue au Jazz du groupe formé à Cincinnati dans l’Ohio datait d’il y a au moins dix ans. Et que celle-ci est actuellement l’unique en Suisse. Encore une fois, une exclusivité Montreux Jazz qui fait plaisir. Et qui montre que le rock existe encore, même en plein été…
Bref, à défaut d’avoir un gag permanent en guise de politique, les États-Unis peuvent au moins se targuer d’avoir une pléthore de groupes incroyables pour apaiser la souffrance d’un duel Trump-Biden s’annonçant cataclysmique. D’ailleurs, le chanteur se fera un plaisir de jouer sur une Amérique au ralenti, comme en témoigne sa pique sur l’actuel Président en criant « Wake up Joe ». La foule rigolera, et Berninger retournera dans ses fantaisies scéniques. Oui, s’il faut résumer The National, c’est par la présence parfois étrange de son lead singer.
Comparé aux albums, il y a clairement des faussetés à la voix. Il y a aussi ces moments qui pourraient être drôles, mais qui lassent à la longue (mettre sa tête à l’envers sur les éclairages, taper son front avec son micro, enlacer d’un peu près les femmes du premier rang, entre autre). Oui, cette voix suave et grave prend un peu trop de place et de lumière sur scène. Mais il a aussi cette faculté à entraîner son public dans un tourbillon sublimé par son groupe. Et ça, c’est la marque The National.
Car en plus des lumières et d’une scénogrpahie magnifiques, derrière, ça suit: l’excellent pianiste Aaron Dessner (qui collabore avec Bon Iver) tient l’ambiance spatiale tandis que son frère Bryce Dessner fait de même en lançant des sonorités exceptionnelles à la guitare. Il y a cette mouvance à la War On Drugs, plein de fuzz, delay et reverb aux effets, qui fait justement effet. Les deux autres frangins Devendorf aussi, sont bien présents pour donner du corps aux quelques vingt-et-un morceaux joués mardi (!)
Puis il y aura ce final sur Vanderlyle Crybaby Geeks. Presque en acoustique, avec des milliers de personnes reprenant les paroles. Ce moment valait, à lui seul, le déplacement sur les terres de Claude Nobs. Il aurait été fier.