Après une ouverture du Montreux Jazz Festival marquée vendredi par la venue exceptionnelle de A-Ha et son tube planétaire Take On Me, l’organisation remettait le couvert le lendemain pour sa soirée du 2 juillet. Né loin des bords du Léman, mais surtout peu accoutumé aux charmes de la Riviera, la venue de Nick Cave faisait office d’événement. Virevoltant aux côtés de ses iconiques Bad Seeds, l’Australien a marqué les esprits… tout comme Emilie Zoé en ouverture!
Cela faisait depuis 2018 que le rocker de 64 ans n’avait pas foulé les planches de l’Auditorium Stravinski. Mais comme lorsque l’on remonte sur un vélo, les habitudes ne se perdent guère. Et comme un bon vin, le temps qui passe offre le plaisir de se bonifier. Propulsé en star planétaire par son apparition dans le générique de la série anglaise Peaky Blinders, le natif de Warracknabeal s’est accaparé en quelques minutes la mythique salle montreusienne. Accompagné par son groupe Bad Seeds, Nick Cave comptait sur une instrumentation considérable pour pleinement exprimer les émotions qu’il transmet. Sur scène s’entremêlaient alors des éléments offrant puissance et la subtilité dans la musique du rocker : batterie, percussions, synthétiseurs, piano à queue, chœurs, guitares et basse. Bref, tout l’armada caractérisant les Bad Seeds pour le plus grand bonheur d’un public conquis.
Faisant durer sa venue suite à la conclusion du concert d’Emilie Zoé (voir plus bas), c’est à peine après 22 heures qu’est monté sur scène le groupe. Quelques secondes plus tard, un spot lumineux fait entrer la silhouette élancée d’un Nick Cave toujours habillé de son traditionnel costard. Cheveux gominés et regard profond, voilà le dieu de certaines et certains s’avancer avec entrain pour entamer deux heures de concert sur le titre « Get Ready For Love». Une énergie folle, transperçant quelques tympans de gens surpris, émane du centre des conventions 2M2C au point que sa vétusté pourrait le faire vasciller.
Cette énergie, c’est surtout celle d’un homme qui aime la foule et qui s’y accommode sans filtre, sans relâche. Il use perpétuellement d’une astucieuse plateforme longeant la scène et disposée après les retours sur scène devant le public pour offrir une proximité de tous les instants. Pour le plus grand bonheur de ses fans de la première (et dernière) heure, Nick Cave n’hésite jamais à s’approcher d’eux, de les haranguer avec entrain, de leur tenir la main comme un ami, de s’appuyer sur eux pour un bain de foule ou encore des les pointer du doigt comme s’il était l’un des leurs. Il transmet des intensités émotionnelles uniques à travers sa gestuelle et sa voix de baryton au point d’électrifier l’Auditorium Stravinski. Bref, s’il devait exister une définition visuelle du charisme, l’Australien en serait la parfaite représentation.
Un concert dosant l’énergie au calme
Si le concert a démarré tambour battant sur « Get Ready For Love » et « There She Goes, My Beautiful World », il ne fallait pas s’attendre à subir une intensité sonore aussi constante car la liste des chansons a été parfaitement maîtrisée ce samedi soir. Avec Nick Cave & The Bad Seeds, on s’extasie souvent sur un rock déflagratoire comme sur « Jubilee Street », « Tupelo » ou sur un vieux titre tel « City Of Refuge » où le « You Better Run » fait son effet. D’ailleurs, la puissance du titre « Red Right Hand », qui introduit à merveille la série Peaky Blinders, aura été l’un des moments de grâce de ce concert où le public se joint à Nick Cave pour reprendre le thème à la guitare et les paroles profondes du refrain. Mais avec Nick Cave & The Bad Seeds, on s’extasie aussi sur des instants calmes et solennels. Au piano, Nick Cave se transforme en un être sensible, comme l’en témoigne la poignante « O Children » sous ses lumières d’un rouge ardent magnifiant les voix de son trio de chœurs.
Plus tard, ce sera sur « I Need You » que le temps sera suspendu lorsque pour terminer son morceau, Nick Cave exprimera inlassablement les mots just breathe comme pour vampiriser un public déjà acquis à la cause du chanteur vivant en Angleterre. Il y eu aussi « The Ship Song » qui offrit un moment de communion avec le public reprenant les paroles inlassablement. Mais si un moment devait être souligné, c’est sans nul doute le partage d’émotions avec son fidèle guitariste et pianiste Warren Ellis sur « Bright Horses » qui aura mis tout le public du Stravinski d’accord. Usant de sa magnifique et insoupçonnée voix de tête, le guitariste, violoniste et guitariste qui accompagne Nick Cave depuis plus de 25 ans illustrait sur ce titre toute la complexité d’un projet musical qui retourne le spectateur dans tous les sens et qui offre même un final spirituel avec « Ghosteen Speaks », suite à un long rappel et près de vingt titres généreusement joués par Nick Cave & The Bad Seeds.
Ce concert, et plus généralement cette musique aux milles couleurs parfois sombres et parfois oniriques, auront eu le don de laisser un souvenir impérissable aux festivalières et festivaliers. Même pour celles et ceux qui n’avaient qu’entendu le générique de Peaky Blinders.
Émilie Zoé met le Stravinski d’accord
Probablement que si l’on devait annoncer à une grande partie du public venu pour Nick Cave que sa première partie était originaire de Neuchâtel, beaucoup n’y aurait pas cru. Il n’empêche que la petite Suisse contient de magnifiques pépites musicales, et Emilie Zoé en fait partie. En duo, comme lors de sa venue récente à Festi’Neuch, la chanteuse et guitariste a parfaitement rempli le contrat sur l’une des plus prestigieuses scènes helvétiques, voire du monde. L’enjeu, de taille, était de mettre à l’aise les fans de son successeur australien en les baignant dans une ambiance rock décomplexée. Autant dire que la mission a été parfaitement remplie puisque la Romande a visiblement marqué les esprits d’une foule qui applaudissait chaleureusement chaque fin de morceaux. Bien soutenue par des ingénieurs son et lumières maîtrisant chacun leur sujet, le public pouvait sentir une Emilie Zoé à l’aise aux côtés de son batteur. L’exécution musicale, millimétrée et incisive, était palpable sur des titres comme « Roses On Fire », où l’émotion transmise était sidérante avant d’attaquer frontalement son nouveau single « Castle ». Un digne hommage à Nick Cave.
Il subsistera tout de même ce moment de flottement en fin de concert où l’interprète neuchâteloise dictait des messages de fans envoyés via des cartes postales confectionnées par elle-même et qui alertent sur l’impact du changement climatique sur la planète. Bien que l’idée soit géniale et la cause belle, elle semble plus adaptée dans un contexte intimiste où l’attention du spectateur est peut-être plus élevée pour prendre conscience de ce phénomène.
L’édition 2022 du Montreux Jazz Festival se poursuit jusqu’au dimanche 17 juillet 2022. De nombreux concerts payants et gratuits sont programmés en salle. Pour plus d’informations, c’est par ici.