
Les contraires s’attirent ? Retour sur une soirée entre voix puissante et house dansante, où la fragilité éthérée de London Grammar a rencontré la chaleur hypnotique de RÜFÜS DU SOL sur la Scène du Lac du Montreux Jazz.
London Grammar c’était mieux avant…
Difficile d’aborder le concert de London Grammar sans évoquer leur dernier album, The Greatest Love, sorti en septembre 2024, qui a laissé plus de doutes que de frissons. Les paroles, qui représentaient une force du groupe lors de la sortie de leur premier album, frôlent parfois le cliché, manquant d’inspiration, tandis que l’instrumentation peine à surprendre.
Si certains critiques louent l’ambition émotionnelle des morceaux comme Fakest Bitch ou Kind of Man, l’album entier donne l’impression de rester sur sa faim. Il semble entièrement reposer sur la voix si caractéristique de Hannah Reid, envoûtante et puissante, qui crée ces montées d’émotion caractéristiques du trio. Il n’est pas à la hauteur des standards auxquels ils nous avait habitué.

…Mais ça reste quand même exceptionnel
Sur scène, la voix de la chanteuse de Nottingham tremble un peu au début. Lors de nombreuses interviews, elle avoue souffrir de trac, et on apprendra par la suite qu’elle bataille contre un mauvais rhume.
Mais très vite, sans doute portée par un public acquis à sa cause et un cadre à couper le souffle, la magie opère. Le morceau Hey Now retentit, le public retient son souffle, osant à peine respirer de peur de perturber le fragile équilibre qui s’est installé.
Une ambiance intimiste, subtile, portée par les émotions de Reid et un soutien instrumental épuré mais efficace. Le public se laisse flotter, bercé par ces arrangements aériens et cette voix qui oscille entre graves digne d’opéra et aigus cristallins, provoquant des frissons à chaque montée.

Un public qui retient son souffle
Le trio semble lucide : conscient que leur dernier opus ne convainc pas, ils ont misé sur la nostalgie et la puissance de leurs débuts. La majorité de la setlist est ainsi tirée de leur premier album avec un enchainement de morceaux, comme leur reprise très connue de Night Call de Kavinsky, remise au goût du jour par son duo avec Angèle, Wasting my Young Years et Metal & Dust. Même lorsque ces morceaux connus de tous retentissent, l’audience semble ne pas vouloir chanter, suspendue aux lèvres de Hannah Reid.
Le pont entre les deux artistes se fait à la toute fin du concert, où London Grammar part sur des notes électro. Un genre qui peine toutefois à sortir le public de sa torpeur bienheureuse.

RÜFÜS DU SOL : entre mélancolie et énergie solaire
Pendant l’entracte, le public semble se métamorphoser. Les Gen X, venus voir London Grammar, se dispersent pour laisser à une foule plus jeune, venue pour faire la fête. Le soleil se couche, place à la danse.
Et RÜFÜS DU SOL ne tarde pas à s’adapter à cette nouvelle énergie. Originaire de Sydney, le trio formé par Tyrone Lindqvist, Jon George et James Hunt s’est imposé grâce à un mélange d’électro-house mélodique, inspiré notamment des Chemical Brothers et de Moderat.
Du live et un light-show qui illumine les Hauts de Montreux
Pas de bande-son préenregistrée ici : tout est joué en live, et ça s’entend. Entourés d’un arsenal de synthétiseurs, pads et percussions électroniques, les trois musiciens déploient leur savoir-faire de façon hypnotique. Le light show, d’abord minimaliste — un morceau, une couleur — gagne peu à peu en intensité, jusqu’à créer un véritable dôme de lasers au-dessus d’une foule en transe.
Le spleen selon Sydney
Quand On My Knees retentit, le public explose. Toute l’équation de RÜFÜS DU SOL réside dans ce morceau : de la house solaire avec une touche sombre et mélancolique. Et ça marche. Quelques fausses notes amusées de Tyrone sur les couplets ajoutent même un charme inattendu, provoquant sourires et complicité avec le public. Mais le point culminant de la soirée reste sans conteste Innerbloom, morceau final du set principal. Cette lente montée, cette libération progressive, cette explosion d’émotion — tout y était. Les bras s’élèvent, et les paroles sont criées autant que chantées.
Après un rappel où ils ne se sont pas fait prier, le groupe revient pour un rappel calibré, enchaînant Break My Love, No Place et Music Is Better avec une énergie intacte. Une conclusion à la hauteur du concert. Parfois un peu trop lisses, qui ne révolutionnent pas la formule, mais il confirme que RÜFÜS DU SOL reste une valeur sûre du live électro.
En résumé, cette double affiche était la parfaite illustration que, parfois, la douceur et la tension créent l’étincelle. Oublions les hésitations de studio : c’est la voix de Hannah Reid qui a transcendé London Grammar, tandis que RÜFÜS DU SOL a imposé son univers visuel et sonore. Une soirée qui a fait danser toutes les générations, unies par la musique.
