
FKA twigs a choisi le Montreux Jazz Festival pour sa seule date en Suisse, et quel passage ! Un art total, intensément dansé, viscéralement queer, nourri par son dernier album Eusexua. Sans doute l’un des plus grands shows que la Scène du Lac aura connu.
Une performance en trois actes
L’attente est longue, presque théâtrale. Pas d’annonce, pas de lumière : le public s’agite, les murmures deviennent cris quand des silhouettes émergent dans la pénombre. On devine comme des échafaudages à l’arrière de la scène, ça a l’air brut, industriel.
Fka twigs s’apprête à raconter une histoire en trois chapitres, à la croisée du ballet contemporain, de la rave queer et de l’opéra industriel. Chaque acte sera une mue, une métamorphose, une ambiance qui va transcender le public.

Acte I – Practice : mise à nu, corps en transe
Tout commence dans l’obscurité. Les danseureuses entrent, silhouettes vêtues de cuir noir, ambiance Balenciaga. Iels prennent possession de la scène comme s’iels défilaient, puis se rassemblent sous et sur une structure qui ressemble à des échafaudages.
FKA twigs surgit, en corset moulé comme une armure, et entame son show sur Perfect Stranger. Elle se lance d’emblée dans une chorégraphie millimétrée, qui donnera le ton de toute sa performance.

Rapidement, les couches tombent. Elle enchaîne sur Weak Spot. Comme une métaphore littérale de la mise à nue, l’armure est enlevée et les corps apparaissent presque nus, seulement couverts de sous-vêtements couleur peau. Ielles sont sculpturales. Le désir circule, l’ambiance est chargée, pourtant rien n’est vulgaire. Le corps est roi, la posture est politique.
Après un interlude de danse contemporaine par deux de ses danseurs, FKA twigs apparaît sur scène perchée sur d’immenses talons transparents pour un show hallucinant de pole dance, installée pour l’occasion. Le public reste bouche bée, époustouflé.

Elle enfile alors une robe brune, neutre, qui flotte au vent. On entre pleinement dans l’univers d’Eusexua, son dernier album. Un mot de son invention pour décrire un état second, de création, de transe, de connexion. La voix devient soufflée, parfois distordue pour arriver à une sorte d’opéra drum’n’bass. Le public lui est complètement acquis.

Acte II – State of Being : extase collective et pouvoir queer
Le rythme monte encore d’un cran. Le show devient une grande fête et embarque le public avec lui. Les notes d’Eusexua résonnent et FKA revient sur scène, portant une mini-jupe argentée, lunettes XXL et une fourrure claire enroulée autour du haut du corps. Elle est là pour embraser. Et elle le fait.
Puis, comme si on était à la fin d’une rave, toute la Scène du Lac bascule dans un chaos habilement orchestré. Certaines dansereuses sur scène s’enlacent pendant qu’un autre danse de façon frénétique. Une libération collective.

Les tableaux millimétrés s’enchaînent, toujours portés par la danse. Des chaises sont amenées sur scène : interlude théâtral et chorégraphique, qui vient briser le côté un peu trop parfait du show. Un danseur prend le micro pour des interactions franches avec le public, où il échange d’ailleurs son instagram avec un membre du public. C’est rafraîchissant: les gens rient et FKA twigs se dévoile en entremetteuse bienveillante entre public et danseur.

Un seul reproche pour ces deux premiers actes : un léger soupçon de playback flotte par moments, et la musique, parfois reléguée au second plan, semble s’effacer derrière la puissance des tableaux visuels et chorégraphiques.
Acte III – The Pinnacle : larmes et sabre
Quand on croit tout avoir vu, et posé un jugement sur la performance, FKA twigs revient… Et nous contredit complètement. Toute de blanc vêtue. Plus rien ne bouge, les lumières se font sobres. Elle chante. Vraiment. Sa voix perce enfin sans filtre : c’est d’une pureté rare qui transperce.
Puis la voilà qui sort un sabre sur Numbers pour enchaìner une choréographie digne de Kill Bill. Le public exulte, ébahi qu’elle parvienne encore à surprendre.

L’ambiance se fait ensuite plus intimiste. L’hymne Two Weeks résonne, repris en chœur par une audience bouillante. Avant de conclure sur Cellophane au piano-voix où l’émotion déborde. Les larmes coulent, autant dans l’audience que sur son visage. Un silence religieux enveloppe la scène, le public est suspendu à chaque note.
Aucun bruit ne vient troubler les dernières notes qui flottent dans l’air montreusien. Un instant suspendu, que tout le monde savoure. Personne n’ose bouger. Puis l’ovation éclate. Elle revient au micro, prolonge la chanson… par trois fois.
Elle remercie le public puis quitte la scène en dansant, presque à contrecoeur.

La performance de FKA twigs se vit comme un rêve lucide. C’est troublant, sensuel, viscéral. Un des shows les plus marquants qu’on ait vus depuis longtemps. Un moment rare de beauté queer et totale, comme une hallucination introspective qu’on emporte avec soi pendant longtemps.
