© Paléo 2022 – Lionel Flusin

Fort d’une carrière de plus de 25 ans, l’incontournable groupe Tryo est revenu sur les terres bien connues du Paléo pour présenter sur scène son récent album « Chants de bataille ». Avant leur concert, Guizmo et Danielito ont discuté avec passion de nombreux sujets comme leur longévité, les rencontres marquantes ou l’écologie!


Tryo est un habitué du Paléo. Qu’est-ce que ce festival signifie concrètement pour vous ?

(Guizmo) Déjà, c’est une confiance envers Tryo. Une carrière ne se fait pas comme « ça » : il y a des hauts, il y a des bas, mais ce festival été une constance avec des gens qui ont été là pour chaque album. On a eu le droit de venir présenter et jouer nos chansons ici, donc un grand merci. Paléo, c’est aussi la rencontre avec Les Arrosés [ndlr : une compagnie suisse de cirque], qui jouaient avec Jacques Higelin. On voit le spectacle, puis on croise ensuite les gars qui nous disent qu’ils ont répété des trucs en nous écoutant. Ça finit à l’Olympia un mois après, puis une tournée d’un an et demi dans les Zénith. Voilà, c’est l’exemple du Paléo et de ces rencontres que tu peux faire dans un festival. 

Comment avez-vous préparé votre setlist cette fois-ci pour Paléo ?

(Danielito) Pendant les festivals, on s’adapte en fonction du temps qu’on a et pour Paléo, nous jouons une heure et demie. Nous avons prévu quelques plages de liberté supplémentaires aux concerts d’une heure pour pouvoir faire n’importe quoi (rires). 

(Guizmo) Place à l’impro! On aime avoir des petits moments comme ça, libres et relâchés, où on sait qu’il va y avoir des morceaux… mais pas lesquels. Un espèce de medley au milieu du concert où on se laisse aller par rapport à ce qu’il se passe avec les gens, et tout ce qu’ils peuvent aussi réclamer. Cela nous permet de fêter cet anniversaire, d’aller dans la rétrospective et chercher des vieux titres que l’on ne joue pas forcément. Ça nous met aussi en danger parce qu’on ne se souvient plus des textes ou parce qu’on n’a pas joué le truc depuis vingt ans. On est comme des gamins.

Pourquoi le reggae, ce style de musique si fédérateur, n’est que peu diffusé sur les médias nationaux ?

(Guizmo) C’est une très bonne question, et je n’ai pas la réponse. Récemment nous avons fêté nos 25 ans à Bercy avec les Dub Inc qui étaient invités. Là, des médias découvrent Dub Inc, qui est l’un des groupes de reggae français qui tourne le plus à l’international et qui remplit des Zénith. C’est une énigme, pourquoi le reggae ne rentre pas plus sur les radios et les médias. Et en même temps, ça lui donne une force parce que le reggae traverse le temps et quelque part, peut-être qu’il n’a pas besoin des médias même si c’est un regret pour moi, pour Tryo. Nous avons eu la chance d’être diffusé dans les radios, et ça veut dire qu’il y a quand même des gens qui s’intéressent au reggae et qui le diffuse. Mais la télévisions et les grands médias ne s’y intéressent pas beaucoup…

Revenant à votre carrière, vous racontez beaucoup d’histoires. Dans le bon et dans le mauvais sens, il y aura toujours des histoires à raconter. Est-ce que vous en prévoyez certaines à l’avenir ?

(Guizmo) L’inspiration vient au quotidien. Ça peut aussi être des questionnements. Une chanson peut partir d’un film, d’une rencontre, d’un bouquin, d’une mélodie qui t’amène à des images. Je pense qu’on a encore quelques trucs à raconter parce qu’on profite de la vie, on aime rencontrer les gens et partager. On a cette chanson sociétale qui raconte, observe et pose des questions. Je crois que c’est ce que l’on aime faire et nous avons encore des combats à mener qui ne sont pas finis : l’écologie par exemple.  

Dans vos premiers albums, il y avait de nombreux messages par rapport à l’écologie et à la société de consommation. On voit qu’aujourd’hui, 25 ans après, tout le monde en parle et c’est d’actualité. Est-ce que vous avez le sentiment que les choses ont changé et que par votre message, vous avez été des précurseurs ?

(Guizmo) C’est vrai qu’il y a 25 ans, on était des marginaux à chanter L’hymne de nos campagnes. On était les babas cool fumeurs de pétards, mais aujourd’hui le truc résonne complètement différemment. Les forêts brûlent, on l’a vu et on ne peut pas le nier. Pourtant, il y a encore des fous qui nient ce réchauffement climatique. On est heureux de porter ce message et d’être combatif, même si l’urgence est devenu un vrai problème pour nous tous. Et en même temps, on n’a pas envie de devenir alarmiste et climato-angoissé. On a envie d’y croire, croire en nos enfants et cette planète. On a vu durant ce confinement la facilité et la rapidité avec laquelle la nature peut reprendre le dessus. On a vu des dauphins arriver à Venise, on a vu des choses incroyables. Donc à nous d’y aller, et en même temps, on essaie de le faire avec optimiste et dans la fête avec le soleil et le reggae.  

«On est heureux de porter ce message, même si l’urgence est devenu un vrai problème pour nous tous »

© Paléo 2022 – Lionel Flusin

On a parlé de 25 ans. Il y a une compilation qui est sortie pour l’occasion, juste avant l’album Chants de bataille. Il y a de nombreux invités, comment ont-ils été choisis ?

(Guizmo) Ce sont des rencontres que nous avons faites, par exemple avec Vianney au Paléo il y a quelques années. On lui dit de venir jouer truc, il nous dit connaître par coeur Sers-moi. Avec sa guitare, il nous fait une version… wow. On s’est dit « bon, on fait nos 25 ans… tu veux venir ? ». Comme Bigflo et Oli, toute cette jeune génération est venue nous voir à un concert et veut faire ça, dire des trucs dans leurs chansons. Et puis il y a Véronique Sanson ou Alain Souchon, qu’on a rêvé lorsqu’on était plus jeune et qui nous ont donné envie d’écrire. Renaud aussi a accepté de faire le truc avec nous. Voilà, nos mentors étaient là et ça a été l’un des plus beaux cadeaux que l’on ait pu se faire. On se l’est fait nous même parce qu’on a appelé tout le monde. On en a appelé une vingtaine en pensant que dix allaient dire « oui », mais ils ont tous accepté. On s’est fait piéger à notre propre jeu, mais en même temps on est très fier d’être entouré par tous ces artistes et toutes ces générations, d’exister au milieu d’eux et d’avoir la chance de faire des choses avec eux. 

Quelle est la place de la famille Souchon pour Tryo aujourd’hui?

(Guizmo) C’est très particulier. Alain nous a adoubé, il nous a invité chez lui avec ses enfants et sa femme. On était l’été dernier dans sa maison, où ils organisent un petit festival autour de chez eux. Il y a beaucoup d’amour et de bienveillance. On aime profondément Alain Souchon dans l’écriture, dans le personnage artistique qu’il est. C’est un poète incroyable et se faire adouber par des gens comme ça, qui te disent qu’il aurait aimé écrire et chanter cette chanson là, c’est incroyable. Et tu sens que c’est sincère.

«Souchon est un poète incroyable, et se faire adouber par des gens comme ça c’est incroyable »

On vit une période virtuelle, où l’on est beaucoup aidé en tant que musicien. Est-ce qu’on a perdu l’essence même de la musique à cause de l’informatique ?

(Danielito). Non, je pense que les choses ont changé et évolué. Il y a peut-être une façon de consommer la musique qui a changé, où t’achetais un disque avec le plaisir de l’écouter du début à la fin plusieurs fois. La façon de faire de la musique a aussi évolué, mais ça reste des techniques. La musique restera toujours la musique. Après, il y a des concerts où la technique a pris le dessus. Mais ça, on ne va pas juger car tant qu’il y a des gens qui ont des idées, chacun gagne son pain comme il peut. Il y a un public pour ça.

(Guizmo) On est dans la musique très organique avec les guitares, la percussion et les voix car c’est notre essence. Et en même temps, on a envie de découvrir la modernité. C’est peut-être pas pour évoluer, mais se faire plaisir. Il y a des choses super intéressantes dans la technologie, les machines et la manière de travailler en studio pour aller chercher des sons que tu n’aurais jamais envisagé. Pour Chants de bataille, on a cherché des expériences et d’autres sonorités pour ne pas rester enfermé dans un truc et prétexter que la technologie c’est tout naze. On évolue avec le temps.

Comment voyez-vous ces 25 années passées? Avez-vous de la fierté, de la nostalgie ou un peu des deux ?

(Danielito). Il y a énormément de fierté. Je ne sais même pas s’il y a le temps de la nostalgie parce qu’on est très content d’en être là aujourd’hui. Personnellement, je n’ai pas trop de regrets. Mais surtout, le temps est passé tellement vite et c’était tellement intense. Je me rappelle qu’on s’est dit qu’on fêterait bien nos vingt-cinq ans, mais j’avais l’impression qu’on a fêté nos dix ans hier. Il y a une énorme fierté, et je me rend compte à chaque fois de cette énorme chance de s’être rencontré et d’avoir vécu ces vingt-sept dernières années avec une telle intensité. Chaque jour est un renouveau et une découverte. 

(Guizmo). On est en quête de liberté, et elle est importante. Grâce à ce groupe et cette aventure, je me suis senti libre et ça c’est un beau cadeau. 

Est-ce que vous avez autant de plaisir de jouer un titre comme Désolé pour hier soir ?

(Danielito) C’est une chanson qui a toujours une part d’improvisation. Des soirs, Christophe Mali nous emmène dans des endroits… bref, il y a toujours des surprises. C’est un plaisir de la jouer, et tu vois aussi comment les gens la prennent : on sent bien qu’il y a toujours des petites histoires derrière (rires).

(Guizmo) On se surprend toujours à se marrer dans ce morceau. On attend toujours Christophe qui va dire une connerie, on ne sait jamais ce qu’il va sortir : ça dépend des journaux du matin ou des rencontres de l’après-midi. Là, pour Paléo, j’ai un doute sur PNL qu’on voit ce soir [ndlr samedi]. On faisait des paris dans le bus et on rigole beaucoup. C’est un morceau qui est fait pour ça. 

Est-ce que vous envisagez de repasser en Suisse prochainement?

(Guizmo) On n’a pas toutes les dates en tête, mais on repart sur une grosse tournée à partir de l’automne et au début de l’année 2023. Il y a de très grande chances que l’on repasse par chez vous, et ce serait très étrange de ne pas revenir vous voir. Vous êtes tellement beaux et sympas!


Entrevue réalisée lors d’une table ronde avec Radio Nord Vaudois, RedLine Radio et 7Radio.