
Conseils d’écriture pour les rappeur-ses (mais pas que): au festival Voix de Fête, Lastnite a suivi Hippocampe Fou sur scène et lors d’un atelier d’écriture. Entre performance exaltée et transmission d’astuces créatives, retour sur un week-end inspirant.
Il a pris Genève pour une piscine, l’Hippocampe qui fait du rap aquatique. Le rappeur français originaire de la ville thermale de Thonon-les-Bains – il était destiné à évoluer dans les fonds marins – a fait danser la salle pleine à craquer du Chaudron vendredi soir dans le cadre du festival Voix de Fête.

Le partage avant tout
Véritable MC, Hippocampe Fou a régalé un public amateur conquis venu plonger avec masque et tuba dans un acqua trip festif. Celui qui fait du rap pour « rassembler plutôt que politiser » ne se contente pas de briller seul. Il partage la scène avec ses protégé-es : DJ Prosper, alias le « bâtard des montagnes » , mais aussi avec sa sœur Anaïs sur le titre Respire, et sa fille, Lily, protagoniste de son dernier clip TAPALAREF.
Tu connais aucune star dans l’game, j’attends toujours mon autographe d’Angèle.
Clash des générations.
On a la même langue mais pas le même jargon pas les mêmes gestes. On a les mêmes rêves, on a les mêmes valeurs mais Tapalaref.
Heureux comme un poisson dans l’eau, le cheval des mers fou a « gigoté » avec la foule durant une heure trente, s’amusant sur la scène et au milieu du public, sans jamais boire la tasse, parce que « Genève, vous avez de bonnes ondes ! ». Un voyage rythmique où les mots ont dansé et frappé avec justesse.
Du papier à la scène : donner vie à son texte
Malgré de bonnes ondes, « cette vie n’a pas de foutu sens ». Devenu demi-vieux il y a peu, le rappeur, pourtant incorrigible optimiste, évoque dans son dernier album « Présent » les questionnements qui surgissent au cap de la quarantaine, et notamment le fait qu’on se retrouve à mi-chemin entre le berceau et le cercueil.
« Présent », c’est une petite piqure de rappel que le temps passe et qu’il faut profiter de chaque instant.
« Évidemment, il y a des choses qui me révoltent, mais je cherche à trouver ce qui nous rassemble, que l’on soit heureux ensemble dans une même salle à un même moment. Mon rôle d’artiste c’est de réunir les gens, la politique, je laisse ça à la maison. »

Hippocampe Fou n’a pas que l’ambition de rassembler autour de ses chansons, mais aussi d’accompagner des artistes – jeunes, moins jeunes ou non encore affirmé-es – lors d’ateliers d’écriture où il cherche à créer des ponts et une cohésion autour d’un projet commun.
Samedi 22 mars au matin, une dizaine de participant-es s’installent ainsi au Chat Noir à Genève, carnet et stylo en main. Certains viennent du théâtre, d’autres du stand-up ou du rap. Tous sont là pour une raison : percer les secrets de l’écriture avec Hippocampe Fou.

Conseils avisés d’un expert devenu légitime (selon lui)
À peine remis de son concert de la veille, le roi des fonds marins plonge dans une masterclass de 2 heures. Une session placée sous le signe de la transmission, où il partage galères, déclics et astuces pour faire évoluer chacun-e dans son parcours.
« On m’avait proposé il y a 15 ans de faire des ateliers, mais je ne me sentais pas légitime. Depuis, c’est devenu une évidence. L’envie de transmettre un peu de ce que j’ai appris par moi-même et de faire gagner du temps aux autres ».
Habitué à animer des ateliers auprès d’élèves de tous âges et en milieu carcéral, intervenir en festival a pour lui quelque chose d’insolite. Récap en trois tracks des conseils distillés par Hippocampe Fou pour un Baptême de plongée réussi :
- Dans quoi tu pioches tes idées, Hippo ?
« J’aime exprimer mes émotions, raconter mon histoire, divertir les gens ». Pour le rappeur, il est important de bien choisir ses mots – des mots qui nous plaisent et des mots simples – parce que « le rap, c’est fait pour être dit. Mais il faut que les gens capent tout dès la première écoute. Regarde Orelsan ou Philippe Katherine, c’est un art brut. »
Pour Hippocame Fou, il faut collectionner les mots, au grès des jours et des mois, et les faire rimer quand le bon moment est arrivé. « J’essaie toujours de me dire, « Quelle est l’image la plus farfelue que je peux avoir en utilisant ces deux mots-là ? » et de faire faire le grand écart entre eux ».
Allons, gardons la tête froide à la Jeffrey Dahmer
« Le Coup du Lapin » (2020)
Quand j’t’appelle, use de ton portable comme d’un vibromasseur

- Tu construis comment tes chansons, Hippo ?
Partir d’un thème, établir les champs lexicaux autour du sujet et essayer de raconter une histoire qui reflète l’émotion qu’on souhaite lui donner, tel est le conseil du loup de mer. « Tu assembles tes mots comme tu montes une tour de KAPLA® : avec une vision et une architecture globale, et avec le moins possible de digressions. Si tu racontes une histoire, réfléchis bien au point de vue que tu veux adopter …Certains artistes ont été la cible d’attaques après avoir utilisé « je » dans leur chanson, comme Orelsan. » (Ndlr : avec le titre Sale Pute en 2009. Le titre avait défrayé la chronique et valu au chanteur d’être poursuivi en justice par des associations féministes, pour « provocation au crime »).
Pour Hippocampe Fou, une chanson, c’est une histoire. Composer son texte comme un scénario, un storytelling ou une pièce de théâtre – comme Kendrick Lamar en pleine dispute conjugale dans son clip We Cry Together (2022) – sont quelques-unes des pistes qu’il évoque.
Consacré rappeur francophone au vocabulaire le plus diversifié en 2023 par le média Rap Minerz, ce qui prime pour lui c’est avant tout « ce que tu racontes, et pas comment tu le racontes ». L’objectif c’est le texte, la technique le moyen d’y arriver.

Pour Hippocampe Fou, l’art d’alterner harmoniquement les rimes – parfaites ou non – les assonances et les allitérations, est atteint quand le public a l’impression le texte est facilement compréhensible, et que « ça sonne bien ». « Les mots que tu as choisis te murmurent à l’oreille le sens que tu dois leur donner. Comment tu les agences, ce doit être indivisible, alors que tu as pensé à chaque petite syllabe. Le moment qu’on recherche tous et toutes, un peu comme dans le stand up, c’est les OOOUUU du public, l’approbation de nos punchlines. » Audacieux, jouissif et imprévisible, oscillant entre humour et égotrip, ce cri n’a qu’un but : galvaniser.
- Qu’est-ce que je peux faire d’autre, Hippo ?
Ne pas hésiter à abuser de la figure de style de l’égotrip dans le rap, mais aussi dans d’autres styles musicaux. « Si Angèle partait dans ce délire, ça ne choquerait personne. » Pas faux. Faire rimer les fins, mais aussi l’intérieur, des phrases ; écouter le rap anglophone et la musique des Caraïbes pour rendre chantant et dansant la langue française ; réfléchir à l’angle d’attaque pour étonner (comme sur le titre La tune de ma femme, où le bling bling de l’univers du rap est cassé par le fait que le fric vient de…sa femme) sont autant d’astuces partagées par l’artiste. Il suggère aussi de rapper ses textes à des bpm différents pour améliorer sa diction et se mettre en danger.
Pratiquer l’introspection – ou l’autodérision –, la caricature, la satire, ou encore mélanger les genres et les figures de l’art oratoire pour trouver sa patte et surprendre, toujours. « Pour débiter du texte, tout est dans l’écriture. C’est là que se cache la science de trouver des syllabes et des consommes qui s’enchaînent bien et qu’on arrive à prononcer facilement. Il faut réussir à lâcher prise sur l’écriture, pour ensuite reprendre son texte et le retravailler pour l’améliorer. Ça doit avant tout rester ludique. »
Au royaume des algues, Hippocame Fou est roi – ou chevalier. « La rime est la résolution, il faut garder la punchline, le meilleur pour la fin. » La boucle est bouclée, ainsi en va le refrain.
