Salomé Leclerc – © Victor Perrin

Le plateau de jeudi n’avait rien d’une variété de cheddars ou de friandises à l’érable. Il avait un goût plus épicé, celui d’une maudite bonne musique venue spécialement pour Voix de Fête. Au programme du Casino-Théâtre, trois artistes québécois immanquables : Louis-Jean Cormier, Salomé Leclerc et Lou Adriane Cassidy.



Organisée par Voix de Fête avec l’ambassade du Canada à Berne et la délégation québécoise à Munich, cette soirée Québécoise avait pour vocation de faire rencontrer les artistes d’Outre-Atlantique au public genevois, mais aussi aux professionnels de la musique. Et l’avantage de ces rencontres politiques en lien avec la francophonie, c’est qu’elles accouchent sur le déploiement d’une programmation qualitative. À commencer par Lou Adriane Cassidy, une artiste qui fait sensation auprès de la jeunesse québécoise.

Une bête de scène nommée Lou Adriane

La dernière nommée, jeune artiste originaire de Québec, a ouvert la soirée de la plus belles de manières. Il y a derrière ce set de trente minutes (trop court!) la solidité de « Lou-Adriane Cassidy vous dit : Bonsoir ! », un album acclamé par la presse canadienne. Et qui fait sensation sous les projecteurs. Car oui : l’univers musical de Lou-Adriane Cassidy est bon en studio, mais il est meilleur en live. C’est surtout la place occupée sur scène par la jeune femme qui fait toute la différence. Habillée sobrement d’une longue robe noire, elle rayonne avec une voix aussi rageuse que douce. Tout commence avec l’excellente Je suis arrivée, qui dévoilera une énergie de tous les instants proche de l’apocalypse sur les pièces suivantes. C’est comme si ce concert à Genève était le dernier. « This is the end » chantera même l’artiste, dans l’une de ses seules phrases en anglais. 

© Victor Perrin

Ce concert, c’est une frénésie intense. Un bolide lancé à 100 km/h sur l’autoroute qui sera validé par Louis-Jean Cormier en fin de soirée. Bien présente, Lou-Adriane Cassidy fait souvent face, physiquement, à l’enthousiaste public du Casino-Théâtre. Il reste toutefois confortablement assis, et ce n’est peut-être pas l’audience enflammée des salles québécoises dont la Québecoise a habitude. Mais rien n’affecte l’interprète d’Entre mes jambes.

Sur ce titre, qui a rencontré du succès dans sa province natale, le charisme dégagé est ici brut… et pur. Il pourrait laisser sans voix, mais le public, lui, ne se tue pas. Il acclame la jeune artiste à chaque fin de morceau, et particulièrement celui-ci car les émotions sont complètes. Fougue, intrigue, sensualité : tout y passe. Et ses musiciens, dont l’incontournable guitariste Thierry Larose, contribuent  à élever cette prestation au rang d’un concert surprise. Et surprenant, vraiment.  

Le rock de Salomé Leclerc illumine le Casino-Théâtre

Surprenant, c’est aussi l’adjectif qui pourrait qualifier le concert de Salomé Leclerc. Fort d’une carrière qui compte quatre albums studio, la guitariste de talent avait de forts sentiments à faire valoir devant son micro. Outre sa voix vaporeuse qui transperce magnifiquement les cœurs, ce sont des histoires qui ont été contées. Si l’artiste évoque ses souvenirs d’enfance au Québec (avec l’interprétation de la sublime Dans la prairie), elle évoque aussi ceux qui sont nés par ici. En effet, Salomé Leclerc n’a pas hésité à souligner tout l’affection qu’elle portait pour Voix de Fête, puisque sa première scène à Genève s’est tenue il y a pile dix ans, dans le mythique Chat Noir. Et en dix ans, nuls doutes que du village de Sainte-Françoise aux scènes du monde francophone, les choses ont évolué vers quelque chose de grand. Très grand même, avec le sublime album Mille ouvrages mon coeur paru récemment.

L’artiste ouvrira donc cet anniversaire par un instrumental mystique avant de chanter magnifiquement « C’est plus facile, on fait comment ? » sur Anyway. C’est doux, c’est beau. Et même avec un problème sur son retour, rien ne l’ébranle. Parfois, elle joue subtilement sur sa guitare avant de l’asséner à coups de solos qui déchirent. C’est entre autres sur Juste toi pour moi ou encore Nos révolutions que l’on constate toute la maîtrise de son art.

Si son dernier album, co-réalisé avec Louis-Jean Cormier, est fantastique, sa prestation sur scène l’a été tout autant. Il y a déjà un soutien incroyable en la personne du batteur José Majore. Maniant aussi bien ses baguettes sur les fûts que sur son pad, il lance les sonorités et surtout des basses maîtrisées qui accompagnent Salomé Leclerc. Leur complicité est magnifique à voir, tout du long de l’heure de concert. À leurs côtés, on découvre alors des sonorités autant puissantes que apaisantes, autant solaires que lunaires. Ce sont deux mondes qui se confrontent dans une terre de contrastes qui démontre la grande qualité des compositions de l’autrice-compositrice-interprète. 

Le charmant Louis-Jean Cormier prend le public par les sentiments

Après deux concerts dans lesquels les groupes ont envoyé des décibels, Louis-Jean Cormier a offert une prestation diamétralement opposée. Et il l’assume. Le natif des Sept-Iles a proposé aux spectateurs du Casino-Théâtre, composé essentiellement d’une diaspora québécoise, un magnifique medley de ses plus grands succès. Sa grande carrière, magnifiée par des interprétations parfaites sur scène, auront fait succomber la foule. Mais quel charme! Le public le constate très vite, dès son entrée discrète sur scène où tombe les premières notes de sa guitare. C’est joué si finement, avec une grande précision. On dirait une ode aux musiques du ancestrales, mais au goût du jour. C’est quelque chose de volatile, de subtil même. 

Louis-Jean Cormier, en plus d’être un excellent guitariste, est un parolier hors-pair. Dans ses interminables (mais hilarantes) interventions, le quarantenaire souffle à l’oreille du public que son mélange de morceaux n’auront souvent pas de transition. Il n’y aura, parfois, ni commencement ni fin. Il invite Genève à vivre l’expérience des failles ou des portes, celles qui permettent d’entrer entre deux notes ou deux strophes à l’intérieur de sa personne. Là où son imaginaire musical réside. Là où de vieux morceaux, comme des plus récents, existent. 

C’est ainsi que durant toute l’heure passée en sa compagnie, le public a redécouvert un répertoire complet, parfois plein d’émotions lorsque passent par exemple 100 mètres haies ou Marie tu pleures. Seul sur scène, il motivera la foule à chanter sur Tout tombe à sa place ou encore la chanson à succès Tout le monde en même temps. Le bonheur de jouer est lisible sur le visage du Québécois. Sans ses musiciens mais seulement avec une guitare, un kick au pied et des samples de basse pour agrémenter les morceaux, Louis-Jean Cormier a montré peuple genevois qu’il était bien l’un des artistes les plus importants de la scène québécoise. Celui qui, avec certitude, influencera toute une génération future comme l’ont fait Jean Leloup ou Daniel Bélanger en leurs temps. « Enfin j’aurai été homogène dans ma vie » dira Louis-Jean Cormier en début de set. 

Effectivement, tout ceci était homogène. Et criss, c’était sacrément beau!

© Victor Perrin