© Sigfredo Haro pour La Côte

Inviter les artistes qui font l’affiche d’un festival n’est pas une mince affaire. La tâche requiert patience et flair, des qualités qui se retrouvent chez Jean-Christophe Buob, programmateur des Hivernales de Nyon (27 février au 1er mars 2020). Rencontre avec un homme passionné qui nous dévoile les secrets les mieux gardés de son rôle dans le festival vaudois !




Être programmateur nécessite de travailler sur du long terme. C’est peut-être obscur pour nos lecteurs, mais comment se déroule concrètement l’année pour toi ?

En général, je commence à m’intéresser aux artistes en mai ou juin. Je regarde un peu où ils sont programmés durant les festivals de l’été, s’ils ont une actualité sur l’automne et après je commence à prendre contact avec les agents en Suisse ou à l’étranger. Je leur parle des artistes qui m’intéressent pour savoir s’ils sont disponibles. Si ça rentre dans leur booking, il y a de fortes chances que ça se confirme. Autrement je peux patienter plusieurs semaines, voire des mois, pour finalement recevoir une réponse négative. C’est pas facile, il y a beaucoup de choses qui doivent se rejoindre pour qu’une date se confirme.


L’attente est-elle la principale difficulté que tu puisses rencontrer en tant que programmateur?

Chaque année il se passe plein de choses et c’est ce qui fait le charme de ce métier. Ce n’est pas uniquement un téléphone, une proposition et l’artiste accepte : ce sont vraiment des négociations qui ne sont pas forcément au niveau du cachet, mais plutôt sur le fait d’accepter de jouer dans une salle de cette capacité là [ndlr la Salle communale] ou de passer par Genève entre Paris et Bordeaux par exemple. Il faut aussi une logique dans leur tournée. J’ai eu l’occasion de le constater cette année avec trois ou quatre groupes américains qui ont pris ma proposition en considération mais qui ont décidé, aux alentours du 20 février, de retourner aux États-Unis. Ou de carrément déplacer toute une tournée.


« Je peux patienter plusieurs semaines, voire des mois, pour finalement recevoir une réponse négative »


Partant de ces refus, il y a-t-il eu malgré tout de bonnes surprises?

Bon Entendeur par exemple devait venir l’année passée, mais pour des raisons de promo, ils ont dû décliner la proposition et j’ai dû me tourner vers un autre artiste. Cette année, je les ai contactés et ils ont accepté. Ils se sont rappelés de nous et malgré le fait qu’ils étaient moins connu l’an passé que cette année, ils ont décidé de venir chez nous. C’est super sympa de leur part.



Bon Entendeur ou Puppetmastaz, ce sont quand même de gros noms dans le milieu de la musique. Quels sont les meilleurs moyens pour convaincre ces groupes de venir à Nyon?

Je travaille pas mal avec des agents suisses qui ont l’habitude de venir aux Hivernales pour voir de leurs propres yeux à quoi ressemble le festival. Pour nous, il n’y a rien de mieux que de se faire vendre le festival par un agent qui va parler de nous. C’est quelque chose qui s’est mis en place avec le temps, et que je n’ai plus besoin de faire autant que lors des 5 premières éditions.


Parlant justement d’édition, l’accent est fortement mis sur le rap cette année. Est-ce un choix dicté par la vague actuelle ou le reflet d’une sensibilité artistique au sein de la programmation?

On a quasiment toujours fait du rap depuis la première édition, avant même qu’il ait le vent en poupe. Alors c’est clair qu’on surfe sur la vague, mais ce n’est pas parce que c’est du rap que je vais automatiquement faire des offres. Cette année, je voulais faire MixMaster Mike, le DJ des Beastie Boys, et ce n’était pas facile de l’intégrer dans une soirée électro. J’ai préféré qu’il soit plus dans le style des Beastie Boys, donc c’est pour ça que le samedi s’est transformé en soirée rap américain. C’est vrai qu’on a deux soirées rap, mais avec deux publics différents : la soirée du vendredi peut toucher des jeunes, et celle de samedi plutôt des trentenaires. J’ai pu remarquer, depuis l’annonce de la programmation, que MixMaster Mike n’était pas aussi connu auprès des jeunes.



Les soirées rap se dérouleront à la Salle Communale, tandis que l’Usine à Gaz est toujours fermée pour cause de rénovations. Comment ces travaux ont-ils eu un impact sur la programmation?

C’était une très mauvaise nouvelle, surtout que c’est tombé pile sur la dixième édition. Maintenant, on savait que ça allait durer deux ans et on a pu mettre en place Le Village des Hivernales avec les collectifs Hapax21 et Crans City Club. L’année passé, on a fait vivre la place devant la Salle communale comme jamais on a réussi à le faire ! Donc finalement, c’était un mal pour un bien parce qu’on a jamais eu autant de monde. Même des gens qui n’étaient pas détenteur d’un billet sont restés à l’extérieur boire, manger et danser avec les DJ sans même rentrer à l’intérieur. Il y avait une vraie vie à l’extérieur de la salle. Maintenant, à voir comment ça va se passer quand on va réintégrer l’Usine à Gaz. Est-ce que Le Village va fonctionner de la même manière? Ça je ne sais pas. Mais en tant que programmateur, je me réjouis de retravailler avec l’Usine à Gaz. La capacité est intéressante parce que pleine, c’est 450 personnes. Et même à 150 ou 200, on a quand même l’impression que c’est plein.


Aurais-tu vu certains ou certaines artistes facilement jouer à l’Usine à Gaz pour cette édition 2020 des Hivernales ?

Clairement ! Bon déjà, Muthoni Drummer Queen. Je n’aurai pas pu la mettre dans la Salle communale parce que ça ne rentrait pas dans la programmation, mais elle aurait pu jouer à l’Usine à Gaz comme John Dear ou The Clive aussi. Il y a pas mal d’artistes qui peuvent jouer là bas et ils ont accepté de jouer dans des lieux plus petits, ce qui est cool de leur part. Chaque année, je suis moi-même étonné de faire une programmation de cette qualité dans des lieux qui sont finalement des bars et des restaurants. Tout ça, c’est grâce aux artistes: je leur fais une proposition, et eux ils me disent oui. Voilà, pourquoi il y a de la qualité dans les lieux off aussi.


On voit John Dear, The Clive et bien d’autres Suisses dans la programmation cette année. Est-ce que ça a toujours été une motivation pour les Hivernales de proposer aux festivaliers des rendez-vous avec la scène locale helvétique ?

Oui, car quand j’ai commencé dans le milieu de la musique début 2001, j’avais un label qui s’appelait Condor Records. Le but était de sortir des artistes principalement nyonnais et après, quand on avait fait le tour, on s’est élargit vers des artistes romands et même lucernois. Pour moi, c’était important de développer la scène locale. Tous les lieux off sont principalement dédiés aux artistes suisses, donc ça fait plus de 60% de la programmation qui est d’ici.


« Chaque année, je suis moi-même étonné de faire une programmation de cette qualité dans des lieux qui sont des bars et des restaurants »


Et finalement, que recommanderais-tu à quelqu’un qui veut découvrir les Hivernales ?

Déjà, d’aller se balader dans tous les lieux gratuits pour aller boire un verre et découvrir les artistes, ne serait-ce que quelques minutes. Il y a possibilité d’en voir plusieurs par soir, et ça fait découvrir des endroits à Nyon. Après, pour les gens qui veulent venir à la Salle Communale, je pense qu’il faut pas manquer Last Train jeudi, qui est vraiment un groupe en train d’exploser en France et chez nous. Ils viennent même d’annoncer une date à l’Olympia en fin d’année! Et puis après, c’est de venir samedi pour les Puppetmastaz. Je pense qu’il y a encore des gens qui ne les ont pas vus, et c’est une vraie claque de voir ces marionnettes là rapper. Pour moi, c’est un show incontournable!